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Les tontines au Cameroun : petits arrangements entre amis

A Douala, capitale économique du Cameroun, Robert T. est banquier et s'occupe de développement commercial au Crédit Lyonnais. Victor P. dirige une PME agroalimentaire qui fabrique du café et des gâteaux.


Joseph K. anime un cabinet médical qu'il espère un jour agrandir en clinique. Leur point commun ? Tous les mois, ces acteurs de la vie économique et sociale camerounaise se rendent à des réunions de tontine pour verser leur écot. Dans quelques mois, ils toucheront des intérêts en compensation de leur contribution. A moins qu'ils n'aient entre-temps emprunté eux-mêmes à la tontine pour financer une dépense personnelle ou professionnelle. Servant à la fois de crédit à la consommation, de banque aux PME, de caisse d'épargne, voire de Sécurité sociale, les tontines jouent un rôle fondamental dans l'économie camerounaise. Leur principe ? Collecter entre amis, collègues de bureau, camarades d'école, parents ou voisins du même village une épargne au sein d'une association qui redistribuera la manne sous forme de prêts à court terme allant jusqu'à deux ans.


Ce secteur financier informel a connu un essor considérable dans les années 80 avec la crise du système bancaire. La dégradation de la confiance entre prêteurs et emprunteurs, la qualité de service insuffisante des banques ont indirectement profité aux tontines, expliquent les auteurs de « Tontines et banques au Cameroun » (1) : « Dans les tontines, la confiance est fondée sur une connaissance mutuelle concrète des acteurs. Cette vertu cardinale manque totalement aux banques (...) qui recourent à des méthodes de travail dépersonnalisées. » Les défaillances y sont rares car les participants intègrent la tontine par parrainage et savent qu'ils s'exposent à l'exclusion sociale et au déshonneur. La diversité de ce système financier informel est à l'image d'un pays qui fut tour à tour colonisé par les Allemands, les Britanniques et les Français et qui compte, pour s'en tenir aux principales, une dizaine d'ethnies et vingt-quatre langues.


Des règles strictes

Les tontines les plus importantes et les plus sophistiquées rassemblent des hommes d'affaires et des membres de professions libérales. Généralement initiées par les Bamilékés, une ethnie très commerçante, elles brassent des sommes considérables et suivent des règles strictes, couchées sur le papier : parrainage à l'entrée, garantie du prêt par un avaliste qui sert de caution à l'emprunteur et rembourse en cas de défaillance, amendes prévues en cas d'absence aux réunions ou de retard dans le versement des cotisations...

La tontine à laquelle souscrit Victor P. comprend plusieurs centaines de personnes qui versent un minimum de 1.500 euros par mois : « J'emprunte essentiellement à cette tontine pour financer mon fonds de roulement. Ça me coûte moins cher que de recourir aux banques et je n'ai pas besoin de gager mes biens personnels. » Joseph K., gynéco-obstétricien, cotise avec 70 collègues médecins dans une tontine qui, en fin de cycle, capitalise plus d'un million d'euros. Son objectif ? Ouvrir une petite clinique en 2005.


Ces tontines orientées « affaires » fonctionnent généralement sur un système d'enchères capitalisées : le produit des cotisations est mis aux enchères et cédé par blocs au plus offrant et non par ordre prénégocié ou par tirage au sort, comme c'est le cas dans les petites. L'avantage des enchères ? « Le projet ou l'opération la plus rentable sont financés en priorité, et les cotisants sont assurés d'obtenir la meilleure rémunération pour leur épargne », commente Robert T., du Crédit Lyonnais de Douala. En tant que banquier, ne s'inquiète-t-il pas de la concurrence du secteur financier informel ? « Pas du tout. Le produit des tontines finit par être placé dans les banques. Et nous ne pourrions accorder ce genre de prêts », poursuit-il. Ces prêts servent en effet fréquemment à faire des « coups » commerciaux ou à débloquer des opérations dans l'urgence. Les importateurs gros ou petits s'en servent pour financer le renouvellement de leurs stocks. A l'image d'Odile, gérante d'un magasin de vêtements qui a pris l'habitude d'emprunter à sa tontine pour financer ses tournées d'achats chez des grossistes parisiens. Mais il est aussi des usages plus spécifiquement camerounais : « La tontine servira par exemple à payer le bakchich imprévu réclamé par les douaniers », explique Emily N., qui travaille avec les sociétés pétrolières.


Un rôle d'assurances sociales

Les tontines ne se réduisent pas à leur dimension financière. Ce sont aussi des clubs qui organisent des repas festifs où l'on échange des expériences, des conseils pour mieux mener ses affaires. Les tontines familiales ou villageoises jouent de leur côté un rôle éminemment social. Celle du banquier Robert T. a ainsi contribué à l'achat de mobilier pour l'école de son village d'origine. L'émergence des tontines féminines répond aussi à la volonté des Camerounaises d'affirmer leur indépendance : « On voit des mères cotiser à l'insu de leur mari. Si celui-ci abandonne la famille, elles auront une épargne qui leur permettra de tenir en période difficile », constate Emily N. Nombre de tontines servent d'ailleurs d'assurances sociales puisqu'elles prévoient le versement d'une indemnité à la famille du cotisant en cas de décès, ainsi que le financement d'une partie de ses funérailles, généralement coûteuses au Cameroun. Sans compter le soutien moral : « Si un de nos membres décède, nous suivons son enterrement en uniforme pour lui rendre un dernier hommage au nom de l'association », affirme Béatrice, présidente de la tontine Femmes dynamiques à Douala.


Source : lesechos.fr

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